Si le terme d'athée pouvait être synonyme d'une accusation d’immoralisme au XVIIIè siècle, l’étude des textes montre à l’inverse que la définition d'une morale a beaucoup occupé les philosophes que nous pouvons classer comme athées que sont Meslier, La Mettrie, Deschamps, Diderot, Holbach, Naigeon et Sade.
Le XVIIIè siècle est particulièrement intéressant à étudier car le champ de l'athéisme se découvre : il apparaît en public, même quand les écrits sont clandestins ou posthumes, et il prend conscience de lui-même, chaque auteur se confrontant aux autres, voyant ce qui l'en approche et ce qui l'en sépare. Les athéismes antique et contemporain n'ont pas cette fertilité transgressive, même si l'un a l'avantage de la primauté tandis que l'autre bénéficie de l'apport des sciences et de la liberté d'expression.
Une société athée peut-elle être morale ? Si Dieu, ou au moins la religion, n'a plus de rôle prescripteur dans les normes, comment guider notre action ? D'où tirer la morale ? Quel contenu aurait-elle alors ? Qu'est-ce qui nous obligerait à la suivre ? Comment moraliser le monde ?
Il est troublant de constater qu'aucune synthèse exhaustive n'a été produite sur ces questions, même si l'histoire de l'athéisme a donné lieu à plusieurs sommes, où nos auteurs figurent en bonne place. Certains auteurs n'ont été pleinement accessibles au grand public que récemment : les textes de Deschamps ont été publiés chez Vrin en 1993, et Holbach a vu ses œuvres philosophiques complètes publiées en 2016 par Coda. Cependant, des passionnés d'études robespierristes ont fait vivre l'oeuvre de Meslier, et celle de Deschamps a suscité l'intérêt d'universitaires poitevins. Au regard de leurs collègues, Diderot et Sade ont joui d'une importante célébrité, mais ont peut-être souffert d'un statut de littérateurs qui a négligé leur apport philosophique.
Notre corpus est composé d'auteurs qui se sont réclamés de l'athéisme, et il se trouve que la question morale les a tous préoccupés.
Jean Meslier laisse ses pensées sous forme de testament, il était curé mais il révèle à sa mort qu'il considère la religion comme une imposture et l'existence de Dieu comme une sottise.
Julien Offray de La Mettrie meurt à quarante ans en 1751, exilé à la Cour du roi de Prusse,. Médecin de formation, il écrit le célèbre L'Homme-Machine. Pour lui la morale est arbitraire, sociale, comme la religion et la politique mais il faut les respecter, parce qu'elles tiennent la société en ordre.
Léger-Marie Deschamps était abbé. Il part d'un point de vue métaphysique sur l'univers et constate que la société, l'état de lois, nous prive d'harmonie. Pour atteindre l'état de mœurs, il prône l'abolition de la propriété privée et des hiérarchies. Toute morale complète est donc impossible dans l'état de lois actuel.
Denis Diderot, qu'on ne présente plus, traite de notre question particulièrement dans l'Entretien d'un philosophe avec la Maréchale de ***. Il y défend la possibilité pour un athée d'agir morale